12/01/2010
Porcelaine
A 37 ans, Lhasa s’en est allée et a repris sa route, celle d’une nomade qui a traversé son enfance le nez au carreau d’un bus à travers les Etats-Unis et le Mexique, avant de s’installer au Canada et de poser temporairement ses valises en France. C’est ce monde, loin de la culture conventionnelle, qui lui a donné cette identité unique. Je me souviens de son concert au Grand Rex en 2004, pieds nus dans une robe noire singulière, habitant la scène jusque dans ses moindres recoins sans avoir besoin de forcer le geste ni la voix, nous transportant sans que la moindre résistance ne se manifeste, oscillant entre l’univers euphorique d’un périple tzigane à la Bregovic, la marche aride et inquiétante dans un désert où plane l’ombre de Alejandro Inarittu ou encore l’errance décalée et sensuelle d’un David Lynch dont elle possède la même poésie, tour à tour noire et lumineuse.
Lhasa offrait un voyage immobile et véhiculait l’émotion dans sa voix. Il fallait être là pour ressentir ce timbre singulier, grave et profond, feutré et puissant à la fois, toujours à la rupture, comme le vent chaud du désert qui balaye les cactus épineux. Il fallait être là pour vivre sa façon unique de communiquer avec le public, une communion quasi hypnotique qui nous offrait à vagabonder dans les tréfonds de son cœur sans aucune pudeur mais avec une classe exemplaire. Elle osait et avait le désir profond de ne jamais faire ce que l’on attendait d’elle, d’être elle, tout simplement.
Des textes sans détours parlant de ses expériences intérieures, « vécues entre route, doute et déroute ». Des amours laissées en souffrances, des impasses récurrentes, des voyages impossibles, des déracinements insurmontables, des crises d’identité, comme si la vie était une expérience traumatisante autant qu’une interrogation bouleversante. Un voyage intérieur, musical et linguistique où s’entremêlent l’anglais, l’espagnol et le français dans une symphonie plaintive d’instruments sans frontière (violoncelle, trompette, percussions, marimba...).
En 1997, le monde entier la découvre avec son magnifique album La Llorona dont elle dira qu’il est son disque ‘punk’, celui de la jeunesse. En 2003, elle délivre The Living Road, vénéneux et passionné, et enfin, tout dernièrement, Lhasa, plus sombre et solitaire, se dressant comme un mur de pierre autour de la chanteuse, un enclos sombre et dépouillé, où l’épure et la nudité sont « finalement le plus court chemin entre l’expression et l’émotion » disait-elle.
Lhasa est un paysage mouvant qui invite à la contemplation, la lueur d’un crépuscule qui donne aux paysages un reflet si particulier, un nuage enveloppant, une poussière vagabonde, un feu sacré… un manège qui ne finira jamais de tourner.
"J’écris des chansons pour m’aider à avancer. Elles sont mes étoiles. Elles me guident dans la nuit"
13:06 Publié dans Les oreilles | Commentaires (0) | Tags : lhasa, llorona, the living road