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11/10/2010

Des Hommes et des Dieux

des-hommes-et-des-dieux-affiche.jpgAu sujet de son film « Des hommes et des Dieux », Xavier Beauvois dit avoir voulu s’attacher à la vie des moines Cisterciens de Tibhirine plus qu’aux raisons de leur enlèvement en 1996. Au sujet de mon post, je peux dire que quelque soit sa longueur, j'ai freiné ma plume.

Comment expliquer qu’un film de plus de  2 heures qui a pour objectif de nous montrer le quotidien de ces moines, arrive à franchir, en troisième semaine d’exploitation, le cap du million d’entrées ? Comment expliquer que toutes les critiques s'accordent pour le consacrer comme un chef d’oeuvre de grâce, de profondeur, d'inspiration, de pureté, de qualités cinématographiques, de jeu d’acteur…. ? (sans oublier que le film est désormais en course pour les Oscars après avoir raflé un prix à Cannes).

La réponse pourrait se trouver dans des poncifs du genre :

-     Le besoin des chrétiens de réinvestir leur foi et de la symboliser à travers des moines en robe simples et non pas en blouson de cuir. J’évoque à ce sujet une anecdote où mon conjoint s’est confronté à l’avis d’une personne qui avait apprécié le film et l’interrogeait sur l’éducation qu’il avait reçu, comme si le passage à l’église dans l’enfance était la voie tracée pour apprécier ce trop long métrage.

-     La quête de sens qui s’est généralisée à toute une société, désenchantée et en manque d’illusions, qui veut tout à la fois être compétitive et mystique. Les rayons de librairie n’ont jamais autant regorgé de livres de développement personnel car l’idée de pouvoir basculer d’une vie trépidante au registre spirituel séduit. C’est croire mais individuellement… alors au spectateur de s’émouvoir devant ces moines qui font cœur, chœur et corps.

-     Le contrepied à notre société matérialiste dont le besoin d’authenticité justifie que Beauvois nous montre un groupe de moines vivant leur vie de moines. Ils font pousser des légumes, ils écrivent (tellement sages qu’on imagine leur mettre une jolie note écrite en rouge dans la marge), ils vendent du miel au marché, ils chantent, ils récitent des psaumes, ils prient, ils chantent à nouveau (au fait, ils ne font jamais leur toilette ?)… et ils mangent (mais avant tout le corps du fils de Dieu) !!! A ce sujet, tout le monde utilise des superlatifs pour évoquer la scène (Cène) du dernier repas sur fond de Lac des cygnes de Tchaïkovski : « l'une des séquences les plus saisissantes de l'année », « un pur moment de transcendance », Aurélien Ferenczi de Télérama s’est même épanché : « Les visages sont cadrés au plus près, ces inconnus deviennent nos frères. Remplacer les cantiques par du Tchaïkovski donne la clé d'une grâce profane, où l'art est vécu comme un sacrement ». Des boutons…. Une vraie crise d’urticaire de mon côté, j’imaginais Lambert Wilson jaillir d’un bout à l’autre de l’écran en ballerine. Où est la grâce ?

-     Une tentative de revenir sur un fait marquant de l’histoire et de toucher les plus férus d’histoire ? Xavier Beauvois a pourtant délibérément choisi de ne pas investiguer et de survoler le contexte dans lequel s’est déroulé cet évènement (et c’est sans doute la raison pour laquelle il énonce dans une interview télévisée qu’il n’a « jamais fait un film aussi facilement »). Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas ce qui explique le consensus et l’absence de polémique. Pourtant, à y regarder de plus près, il y a quelques scènes qui ne résonnent pas comme les cloches du monastère. Beauvois nous dit ce qu’il faut voir, ce qu’il faut entendre, ce qu’il faut comprendre et surtout ce qu’il ne faut pas chercher à comprendre….. et ça, au bout d’un moment, ça m’agace profondément !! Les prières en arabe dont les sous-titres s’interrompent brutalement juste pour souligner la phrase qui fait bien, un plan prolongé du Père Luc qui s’endort en lisant « les lettres persanes » de Montesquieu (pour qui, rappelons-le, l’idéal de justice serait indépendante et non divine "Quand il n'y aurait pas de Dieu nous devrions toujours aimer la justice"), une visite au ministère de l’intérieur où un haut fonctionnaire reconnait que son pays est attardé mais que c’est la faute à la colonisation française (ouf, l’honneur est sauf !). Une scène qui symbolise à elle seule l'incapacité générale du film à prendre une respiration au-delà des murs du monastère.

-     Un message, universel et pacifiste, qui donne bonne conscience en se disant (en silence bien entendu), « heureusement qu’il y a des gens qui ont le courage de faire ce que nous ne faisons pas »… Amen. Oui mais, partir ou rester ? rester ou partir ? partir ou rester ? Hé ho, messieurs les acteurs, nous sommes là ! Car voilà un autre aspect du film qui m’a dérangé, les acteurs semblent nous avoir oubliés. Lambert Wilson l’a confirmé en interview : « Nous étions obsédés par la notion de Grâce et j’ai vécu ce tournage de façon mystique». De l’autre côté de l’écran, on assiste au spectacle d’une petite troupe qui a du être bon élève auprès du conseiller monastique du film, Henry Quinson, mais qui nous livre un jeu désincarné, tour à tour caricaturé ou dépossédé d’émotion. Un film plat, des cadrages ratés malgré un travail scolaire, des paysages sur lesquels se pose une lumière morne qui leur enlève tout relief…

Ce drame historique touche déjà 2 millions de spectateurs dans ce qu'il y a de plus profond en eux. Je dois donc être remplie de rien. Voilà, c’est un film qui rappelle aux hommes que c’est mieux d’être humain et de prendre soin de son prochain, que l’homme est libre de ses choix, qu’être à plusieurs c’est mieux qu’être seul, qu’être dans la connivence c’est préférable à l’affrontement et que le matériel qui encombre notre vie nous éloigne de l’essentiel… ça va, j’ai bon Monsieur Beauvois ???

La lumière s’est rallumée, derrière moi la discussion s’engage entre deux femmes âgées. L’une s’excuse poliment auprès de sa voisine de s’être endormie et l’autre lui répond d’un ton sans détour, qu’elle s’est avachie sur elle et qu’elle a même ronflé. Comment oser gâcher un si beau moment… ou comment rendre l’autre responsable d’un ennui total.

 

Pour terminer, je voulais juste emprunter à Jean-Luc Godard  une belle leçon de cinéma :  

“Il y a le visible et l’invisible. Si vous ne filmez que le visible, c’est un téléfilm que vous faites.”

 

17/02/2010

Le refuge

Dimanche de Saint-Valentin. A l’heure où chacun déjeune, direction Le Refuge de François Ozon. J’étais restée figée devant l’affiche du film, où la délicieuse Isabelle Carré souligne son ventre arrondi de ses mains. J’avais ressenti la même émotion teintée d’un peu de gêne en découvrant Romane Bohringer, nue et enceinte, sur l’affiche du Bal des Actrices. Comme si la maternité était quelque chose de trop intime pour être montré mais de trop magique pour être caché.

Acte 1 : Mousse et Louis sont trouvés inanimés dans un appartement. Overdose à l’héroïne, Louis ne se réveillera pas. A l’hôpital, le médecin apprend à Mousse qu'elle est enceinte. Elle se retrouve seule face à son addiction, la mort de son amant, le rejet de sa belle famille et sa grossesse. De la femme et de la personne qui abritent cette vie, personne n’en a rien à faire. Mousse est désormais seule.

Acte 2 : On retrouve Mousse et son ventre généreux dans une maison de la côte basque. Bien que moins lumineuse, elle semble  plus sereine malgré le vide autour d’elle. Le bébé à venir comme palliatif à l’absence de Louis, la métadone comme substitut à l'héroïne et la visite de Paul, le frère du disparu. Ce dernier compense à travers la jeune femme un passé de frère et de fils mal aimé, il vibre au contact de ce ventre et de cette grossesse que son homosexualité ne peut lui offrir.

Acte 3 : Mousse est à la maternité, sa petite Louise vient de naître et Paul arrive un bouquet à la main. Mais peut-on se sentir mère lorsqu’on se sent à peine femme ? Peut-on être mère sans la présence du père (le prénom de la petite fille illustrant son absence) ? Le film pose véritablement la question de la filiation.


Dans ce film, c’est une même histoire de fantôme que dans Sous le sable, des interrogations sur l’homosexualité qui fait le lien avec Une robe d’été, des questionnements sur la mort comme dans Le temps qui reste, sur l’âme humaine (5x2) ou sur le mystère (Swimming Pool).

Fidèle à ses aspirations un peu tortueuses et ses penchants voyeuristes, Ozon construit son Refuge autour de sa fascination pour le corps mais qu'il adoucit par une mise en scène sensorielle et sobre. C’est un film à la limite de la contemplation, sans sophistication, comme pour souligner avec pudeur les différents thèmes qui lui sont chers. Le refuge est une histoire de mort, de vie, d’absence, de courage ou de lâcheté, un voyage émotionnel à la retenue intense qui lui donne une vibration toute particulière. On s’attarde sur les visages et les corps, silencieusement, dans une lumière qui passe du soleil aveuglant à la pénombre de la maison, qui s’attache à l’horizon et aux paysages autant qu’aux grains de peau et aux visages. Ce choix de réalisation et l’attention infaillible portée aux personnages contrastent avec la violence de l’histoire de Mousse. Ozon nous transporte dans un récit qui s’évapore sous les rayons du soleil. Dès le début, le refuge est sans retour. Une violence perceptible mais toujours diffuse au sein de sentiments qui gagnent en pureté parce qu’ils vont à l’essentiel. Isabelle Carré, magnifique, Louis-Ronan Choisy, avec ce petit quelque chose de pas assez incarné comme les figures masculines de Rohmer mais qui épouse le film autant que le ventre. Il en compose et interprète la musique, mélancolique et entêtante, non pas sans rappeler les mots de Gainsbourg et le timbre de Benjamin Biolay.

mioum10.jpgLa force de ce film, c’est ce ventre. Ozon scrute la grossesse comme rarement (ou jamais ?) cela n’a été fait. D'un bout à l'autre, nous sommes face à Mousse et à son ventre, qui fait écran, qui existe,qui interpelle les autres, qui fait obstacle à la sexualité. Le fait de choisir une actrice réellement enceinte permet non seulement de donner une place toute particulière à ce ventre, sublimé sous tous les angles et qui s’invite, même lorsqu’il n’est pas filmé, à travers le visage émouvant, fatigué et gonflé d’Isabelle Carré. Alors, on est forcément happé par son histoire, ses préoccupations, ses angoisses, on porte avec elle ce bébé, cette vie qui a tenté de lui échapper et on en ressort encore plus ému, interloqué par la beauté de cette femme enceinte, état pourtant familier, mais qu’Ozon arrive à transformer en une vision un peu étrange voire dérangeante. Dommage que le scénario manque de surprise et que le film soit autant linéaire. Le malaise que j’ai ressenti aurait gagné encore plus en intensité si les choses n’avaient pas été autant démontrées.

Le soir je me suis endormie avec des images de mer et de lumière plein la tête.

 

09/02/2010

Deux jours à tuer

C’était un soir d’octobre 2003 à l’Olympia, un tabouret au centre de la scène et Serge Reggiani qui susurre ses succès comme un adieu. Ca aurait pu être pathétique mais c’était juste émouvant. Le temps qui reste est compté et les paroles de cette chanson prennent un sens tout particulier. Alors quand Jean Becker la choisit pour illustrer Deux jours à tuer, je me dis que le film a des chances d’effleurer des sujets qui me touchent.

2008-deux-jours-a-tuer.jpgDeux jours à tuer est une adaptation du roman de François d'Epenoux dans lequel on retrouve les valeurs universelles et les thèmes chers à Jean Becker, la vie au contact de la nature, l'émotion des petits riens, la fragilité et la profondeur des liens humains.
Antoine est un publicitaire reconnu, heureux en famille et en amitié. Un jour comme les autres, pourtant, sa vie bascule. Il commence par saboter un rendez-vous avec un client puis, en l’espace d’un week-end, il se met à détruire tout ce qu’il a construit pendant des années. La crise de la quarantaine ? Un excès de folie ? Qui sait …. ? La réponse à ces questions est censée se trouver à la fin du film dont l'écriture évente un petit peu l'effet de surprise mais le mystère de son comportement m’a tenue jusqu’à la dernière minute. Preuve que ce n’est pas dans le suspens que réside l’essence du film.

Le première partie est brutale, dérangeante, nerveuse, jouissive parfois car on porte tous en soi cette envie de dire un jour à notre entourage, professionnel, familial ou amical, ses quatre vérités, au-delà de toute convention, de tout respect. Si le film commence comme une comédie (la belle-mère hautaine face au gendre excédé), celui-ci vire vers un malaise de plus en plus palpable, notamment lorsque le personnage s'en prend à ses enfants. C’est le tableau d’un homme qui, avant de partir, souhaite laisser l’image d'un type détestable qu'on ne regrettera pas avec le temps. La seconde moitié est portée par la plénitude qu’inspirent les paysages irlandais. Une approche qui porte l’empreinte de son réalisateur, personnelle et contemplative, sur les rapports entre un père ermite et son fils qui se retrouvent après des années de silence. Peut-être emporté par sa propre histoire, Becker rationalise un peu trop la fin du périple… mais ce qui réunit ces deux ambiances, c’est l’appétit de la vie et les questions qu’elle soulève.

Sur quoi construit-on sa vie ? Comment en être les acteurs ? Comment gérer la peur du vide ? Combien de temps nous reste-t-il pour accomplir nos rêves ? Comment pardonner ? La vie est un jeu de dupes pour qui se laisse duper…
Un Albert Dupontel qui incarne le personnage plus qu’il ne l’interprète (nominé aux césars), des seconds rôles sobres mais entiers, des dialogues ciselés parfois trop maîtrisés mais souvent jubilatoires, une émotion tendue et maîtrisée qui ne tombe pas dans le pathos (la fin abrupte, comme si l'essentiel venait d’être dit, évite de justesse le sentimentalisme)… voilà sans doute les ingrédients d’un film qui m’a touchée et dont l’émotion s’étire dans les mots de Reggiani en générique de fin.



ma_vie_sans_moi.jpg

Sur un sujet proche, je ne peux m’empêcher de rappeler Ma vie sans moi d'Isabel Coixet, un des plus beaux films que j’ai vus et dont la subtilité poignante donne une sensation de la vie, pleine et entière.