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28/01/2010

Rossignol chante

Les films de Jane Campion s’enroulent toujours autour d’une figure féminine à travers laquelle elle parle de la sensibilité, de l'éveil au désir, de la volonté de se libérer des carcans (le drame romantique prônant la liberté et le refus des règles s'oppose ainsi à la tragédie classique). Très attachée aux héroïnes romantiques, elle l’est encore avec Bright Star. Dans l’Angleterre des années 1820, elle choisit de mettre en scène la fulgurance de l’amour (chaste) entre le poète désargenté John Keats et Fanny Brawne, jeune fille de bonne famille effrontée qui préfère précéder la mode et briller en société que de s’intéresser à la littérature. Poésie contre couture, âme contre apparence, les premiers échanges sont piquants comme une aiguille, fragile comme un fil. Pourtant, au contact de Keats, Fanny va s'ouvrir aux mystères et aux charmes de la poésie… un nouveau monde qui s’éclaire, une flamme qui ne pourra s’éteindre.

Ce que j’ai tout d’abord apprécié dans Bright Star, c’est de découvrir John Keats, haute figure du romantisme anglais, pourtant peu connu en France. Ses poésies traversent le film comme un courant d’air furtif dont il est difficile de retenir les mouvements. J’ai donc choisi de lire tranquillement certains de ses poèmes et je comprends mieux maintenant l’un de ses vers qui accompagne le film : « A thing of beauty is a joy for EVER ». Keats voue son œuvre à la beauté et au malheur du vivant, à la nature, à l’éphémère… comme sa vie qui l’emporta d’une tuberculose à l'âge de 25 ans.

Bright Star.jpg


Pour nous immerger dans cette passion folle et non consommée, Jane Campion choisit le mode de la douceur et de la pureté. Le rythme est lent, l’ambiance feutrée, comme un pied de nez à cette passion courte, à cette vie brève.
En référence à la poésie de Keats, la nature est une allégorie à leur passion. L’évolution de leurs sentiments suit fidèlement le rythme des saisons, comme pour mieux les dévoiler, pétale après pétale, flocon après flocon. Embrassant l'idéal romantique, la nature s'accorde aux émois des amants. C'est dans la nature que le héros romantique trouve généralement une consolation et un réconfort mais c’est cette nature même qui semble participer au tumulte des sens et des sentiments. Hypersensibilité, exaltation, enthousiasme… autant d’émotions qui semblent décupler le rapport sensible à son environnement. Jane Campion filme ainsi un paysage éclatant, dispose une lumière diffuse, charnelle mais vivante et précise, reflétant le contraste entre les débordements de la passion, de la jalousie, et la plénitude du ressenti.

«Je rêve que nous soyons des papillons n’ayant à vivre que trois jours d’été. Avec vous, ces trois jours seraient plus plaisants que cinquante années d’une vie ordinaire
A la lecture des mots de Keats, Fanny capture des papillons, comme pour emprisonner le bonheur du printemps et s'enferme avec eux dans sa chambre, les privant d'air et de liberté. «Quand je reçois une lettre, je sais que notre monde est réel, c’est là que je veux vivre » lui répond-elle. Toots, sa petite sœur, débarrasse l’herbe verte d’une feuille morte parce que l’automne n’as pas le droit de venir troubler les sentiments en bourgeons. Au sein de cette nature, le jeune frère et la soeur de Fanny, virevoltent, espionnent et sont le relais pittoresque du spectateur à l'écran. Car au-delà du couple central, délicieux, séduisant, les seconds rôles sont tout aussi captivants, à l’image de la mère chaleureuse qui ne peut lutter contre l’idylle dévastatrice que vit sa fille.

Certains ne seront pas touchés par l’esthétisme perfectionniste (et redondant) de la réalisatrice. D’autres reprocheront à ce film sa lenteur et son rythme répétitif. Mais celui qui n’a pas peur d’affronter son âme d’amoureux y trouvera un écho à des émotions déjà ressenties, indomptables, immaîtrisables, qui bouleversent, car elles entretiennent le désir ambivalent de les revivre autant que de les proscrire à jamais.


keats2.jpgJe ne peux voir quelles fleurs sont à mes pieds,
Ni quel doux parfum flotte sur les rameaux,
Mais dans l’obscurité embaumée, je devine
Chaque senteur que ce mois printanier offre
À l’herbe, au fourré, aux fruits sauvages ;
À la blanche aubépine, à la pastorale églantine ;
Aux violettes vite fanées sous les feuilles ;
Et à la fille aînée de Mai,
La rose musquée qui annonce, ivre de rosée,
Le murmure des mouches des soirs d’été.

Extrait de Ode à un rossignol, in Les Odes, trad. Alain Suied, Éditions Arfuyen

17:43 Publié dans Les yeux | Commentaires (1)

Commentaires

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Écrit par : Elle-même | 31/01/2010

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