17/02/2010

Le refuge

Dimanche de Saint-Valentin. A l’heure où chacun déjeune, direction Le Refuge de François Ozon. J’étais restée figée devant l’affiche du film, où la délicieuse Isabelle Carré souligne son ventre arrondi de ses mains. J’avais ressenti la même émotion teintée d’un peu de gêne en découvrant Romane Bohringer, nue et enceinte, sur l’affiche du Bal des Actrices. Comme si la maternité était quelque chose de trop intime pour être montré mais de trop magique pour être caché.

Acte 1 : Mousse et Louis sont trouvés inanimés dans un appartement. Overdose à l’héroïne, Louis ne se réveillera pas. A l’hôpital, le médecin apprend à Mousse qu'elle est enceinte. Elle se retrouve seule face à son addiction, la mort de son amant, le rejet de sa belle famille et sa grossesse. De la femme et de la personne qui abritent cette vie, personne n’en a rien à faire. Mousse est désormais seule.

Acte 2 : On retrouve Mousse et son ventre généreux dans une maison de la côte basque. Bien que moins lumineuse, elle semble  plus sereine malgré le vide autour d’elle. Le bébé à venir comme palliatif à l’absence de Louis, la métadone comme substitut à l'héroïne et la visite de Paul, le frère du disparu. Ce dernier compense à travers la jeune femme un passé de frère et de fils mal aimé, il vibre au contact de ce ventre et de cette grossesse que son homosexualité ne peut lui offrir.

Acte 3 : Mousse est à la maternité, sa petite Louise vient de naître et Paul arrive un bouquet à la main. Mais peut-on se sentir mère lorsqu’on se sent à peine femme ? Peut-on être mère sans la présence du père (le prénom de la petite fille illustrant son absence) ? Le film pose véritablement la question de la filiation.


Dans ce film, c’est une même histoire de fantôme que dans Sous le sable, des interrogations sur l’homosexualité qui fait le lien avec Une robe d’été, des questionnements sur la mort comme dans Le temps qui reste, sur l’âme humaine (5x2) ou sur le mystère (Swimming Pool).

Fidèle à ses aspirations un peu tortueuses et ses penchants voyeuristes, Ozon construit son Refuge autour de sa fascination pour le corps mais qu'il adoucit par une mise en scène sensorielle et sobre. C’est un film à la limite de la contemplation, sans sophistication, comme pour souligner avec pudeur les différents thèmes qui lui sont chers. Le refuge est une histoire de mort, de vie, d’absence, de courage ou de lâcheté, un voyage émotionnel à la retenue intense qui lui donne une vibration toute particulière. On s’attarde sur les visages et les corps, silencieusement, dans une lumière qui passe du soleil aveuglant à la pénombre de la maison, qui s’attache à l’horizon et aux paysages autant qu’aux grains de peau et aux visages. Ce choix de réalisation et l’attention infaillible portée aux personnages contrastent avec la violence de l’histoire de Mousse. Ozon nous transporte dans un récit qui s’évapore sous les rayons du soleil. Dès le début, le refuge est sans retour. Une violence perceptible mais toujours diffuse au sein de sentiments qui gagnent en pureté parce qu’ils vont à l’essentiel. Isabelle Carré, magnifique, Louis-Ronan Choisy, avec ce petit quelque chose de pas assez incarné comme les figures masculines de Rohmer mais qui épouse le film autant que le ventre. Il en compose et interprète la musique, mélancolique et entêtante, non pas sans rappeler les mots de Gainsbourg et le timbre de Benjamin Biolay.

mioum10.jpgLa force de ce film, c’est ce ventre. Ozon scrute la grossesse comme rarement (ou jamais ?) cela n’a été fait. D'un bout à l'autre, nous sommes face à Mousse et à son ventre, qui fait écran, qui existe,qui interpelle les autres, qui fait obstacle à la sexualité. Le fait de choisir une actrice réellement enceinte permet non seulement de donner une place toute particulière à ce ventre, sublimé sous tous les angles et qui s’invite, même lorsqu’il n’est pas filmé, à travers le visage émouvant, fatigué et gonflé d’Isabelle Carré. Alors, on est forcément happé par son histoire, ses préoccupations, ses angoisses, on porte avec elle ce bébé, cette vie qui a tenté de lui échapper et on en ressort encore plus ému, interloqué par la beauté de cette femme enceinte, état pourtant familier, mais qu’Ozon arrive à transformer en une vision un peu étrange voire dérangeante. Dommage que le scénario manque de surprise et que le film soit autant linéaire. Le malaise que j’ai ressenti aurait gagné encore plus en intensité si les choses n’avaient pas été autant démontrées.

Le soir je me suis endormie avec des images de mer et de lumière plein la tête.

 

11/02/2010

1m78 de talent

J'apprécie écouter de la musique lorsque je conduis car je déteste l'inconfort des balladeurs. Ma voiture offre un cocon tout aussi intime, où les mélodies et les mots peuvent résonner sans embêter personne. Le paysage défile, les paroles s'égrènent et j'ai la pleine conscience de ce que j'écoute. Un aller retour en Provence et je me suis attardée sur le dernier album de La Grande Sophie, « Des vagues et des ruisseaux ».

GrandeSophie.jpgDepuis 1996, date de son premier opus, elle a imposé son style pop un peu décalé mais surtout très personnel. Adepte d'une musique home made et artisanale, elle définit son travail comme une sorte de tâche quotidienne sa « kitchen miousic » comme elle aime la nommer. Des mots percutants qui égratignent souvent la condition humaine, une personnalité généreuse et parfois déjantée, une musique tour à tour douce et pétulante… quelques ingrédients qui font de cette chanteuse une figure attachante du paysage musical français. En 2001, son album « Le porte-bonheur » séduit mes oreilles et deux titres accrochent particulièrement mon attention : Martin et Des roses rouges. Deux ans plus tard, elle obtient une large reconnaissance de la critique et du public avec « Et si c'était moi » qui lui vaudra, en 2005, d’être couronnée Révélation scène de l'année aux Victoires de la Musique. Sans se prendre au sérieux, La Grande Sophie possède un sens de l’humour et de l’improvisation qui l’entraîne parfois dans de douces folies scéniques.

grande-sophie.jpgRien que la pochette annonce le changement de cap ; au revoir l’image d’adolescente attardée, c’est la femme qui parle et se libère. Ce dernier album reflète sans conteste le besoin de faire une pause, de souffler… avec des chansons plus intimes, des textes personnels et une certaine convention  que d’autres pourront lui reprocher (reprise d’une chanson de Barbara, une valse à trois temps…). En ce qui me concerne, j’ai apprécié d’autant plus que l'album précédent m’avait un peu laissée de marbre avec ses orchestrations trop présentes et lestées d’un manque de subtilité. Ici, les mélodies sont claires, chaque note résonne dans son intention propre laissant place à une voix pure et directe. Les textes la dévoilent, parlant d’amours déçues mais aussi de pardon. Pas de superflu, pas de risque, pas d’exubérance…. On perd un peu de son identité mais ce qu’elle offre est une autre Sophie, toute aussi Grande, qui charme les oreilles. N’est-ce pas ce qu’on attend en premier d’un artiste ?

Face au marketing acharné de la Saint-Valentin qui inonde ma boite mail de spams, j’ai envie de me réfugier dans ce bouquet là de Roses Rouges :


podcast

13:57 Publié dans Les oreilles | Commentaires (0) | Tags : la grande sophie

09/02/2010

Deux jours à tuer

C’était un soir d’octobre 2003 à l’Olympia, un tabouret au centre de la scène et Serge Reggiani qui susurre ses succès comme un adieu. Ca aurait pu être pathétique mais c’était juste émouvant. Le temps qui reste est compté et les paroles de cette chanson prennent un sens tout particulier. Alors quand Jean Becker la choisit pour illustrer Deux jours à tuer, je me dis que le film a des chances d’effleurer des sujets qui me touchent.

2008-deux-jours-a-tuer.jpgDeux jours à tuer est une adaptation du roman de François d'Epenoux dans lequel on retrouve les valeurs universelles et les thèmes chers à Jean Becker, la vie au contact de la nature, l'émotion des petits riens, la fragilité et la profondeur des liens humains.
Antoine est un publicitaire reconnu, heureux en famille et en amitié. Un jour comme les autres, pourtant, sa vie bascule. Il commence par saboter un rendez-vous avec un client puis, en l’espace d’un week-end, il se met à détruire tout ce qu’il a construit pendant des années. La crise de la quarantaine ? Un excès de folie ? Qui sait …. ? La réponse à ces questions est censée se trouver à la fin du film dont l'écriture évente un petit peu l'effet de surprise mais le mystère de son comportement m’a tenue jusqu’à la dernière minute. Preuve que ce n’est pas dans le suspens que réside l’essence du film.

Le première partie est brutale, dérangeante, nerveuse, jouissive parfois car on porte tous en soi cette envie de dire un jour à notre entourage, professionnel, familial ou amical, ses quatre vérités, au-delà de toute convention, de tout respect. Si le film commence comme une comédie (la belle-mère hautaine face au gendre excédé), celui-ci vire vers un malaise de plus en plus palpable, notamment lorsque le personnage s'en prend à ses enfants. C’est le tableau d’un homme qui, avant de partir, souhaite laisser l’image d'un type détestable qu'on ne regrettera pas avec le temps. La seconde moitié est portée par la plénitude qu’inspirent les paysages irlandais. Une approche qui porte l’empreinte de son réalisateur, personnelle et contemplative, sur les rapports entre un père ermite et son fils qui se retrouvent après des années de silence. Peut-être emporté par sa propre histoire, Becker rationalise un peu trop la fin du périple… mais ce qui réunit ces deux ambiances, c’est l’appétit de la vie et les questions qu’elle soulève.

Sur quoi construit-on sa vie ? Comment en être les acteurs ? Comment gérer la peur du vide ? Combien de temps nous reste-t-il pour accomplir nos rêves ? Comment pardonner ? La vie est un jeu de dupes pour qui se laisse duper…
Un Albert Dupontel qui incarne le personnage plus qu’il ne l’interprète (nominé aux césars), des seconds rôles sobres mais entiers, des dialogues ciselés parfois trop maîtrisés mais souvent jubilatoires, une émotion tendue et maîtrisée qui ne tombe pas dans le pathos (la fin abrupte, comme si l'essentiel venait d’être dit, évite de justesse le sentimentalisme)… voilà sans doute les ingrédients d’un film qui m’a touchée et dont l’émotion s’étire dans les mots de Reggiani en générique de fin.



ma_vie_sans_moi.jpg

Sur un sujet proche, je ne peux m’empêcher de rappeler Ma vie sans moi d'Isabel Coixet, un des plus beaux films que j’ai vus et dont la subtilité poignante donne une sensation de la vie, pleine et entière.